Developpement agricole, genre et securite alimentaire: une analyse comparative des menages ruraux dans les zones montagneuses du territoire de Kalehe (RDC) et du district de Rusizi (Rwanda)
Abstract
Dans la région des grands lacs africains, et plus particulièrement dans les milieux ruraux de la RDC et du Rwanda, le secteur agricole joue un rôle prédominant dans l’économie locale et constitue le principal moyen de subsistance des ménages. Ce dernier, évalué en termes de capital financier, humain, matériel, naturel et du capital social favorise le développement agricole des ménages. Malheureusement, dans les zones rurales de la RDC et du Rwanda, mobiliser ces différentes formes de capital pour le bien-être des ménages demeure un défi important à relever. Cela joue sur la productivité de l’exploitant, son niveau de revenu et ses conditions de vie, avec pour conséquence que les ménages se retrouvent dans un cercle vicieux de pauvreté que l’on observe dans leur vie.
Compte tenu de cette situation, cette étude a identifié les différentes formes de capitaux mobilisés par les agriculteurs dans des zones rurales de la RDC et du Rwanda, en vue de déterminer leur condition de vie. Spécifiquement, cette étude vise à : d’abord (i) identifier les différentes composantes du revenu, déterminer le revenu agricole réalisé par les ménages ruraux de la RDC en territoire de Kalehe et du Rwanda dans le district de Rusizi, et comparer ce revenu au revenu issu de certaines activités alternatives et non-agricoles identifiées ; (ii) déterminer les facteurs qui entravent le développement agricole dans les milieux ruraux de la RDC (à Kalehe) et ceux du Rwanda (à Rusizi) et identifier les stratégies en vue d’améliorer les conditions de vie en milieux ruraux ; ensuite (iii) déterminer le niveau d’implication et d’autonomisation de la femme en milieu rural ainsi que l’implication des jeunes dans les activités agricoles dans les milieux ruraux et enfin (iv) apprécier l’état de sécurité alimentaire et nutritionnelle des ménages ruraux de la RDC dans le territoire de Kalehe et du Rwanda dans le district de Rusizi.
Pour ce faire, deux visites de terrain ont été effectuées respectivement en RDC dans le territoire de Kalehe et au Rwanda dans le district de Rusizi. La première visite a consisté à rencontrer, dans chacune des deux zones d’étude, des chefs d’exploitation (65 hommes) ; la deuxième visite a consisté à rencontrer les épouses de ces chefs d’exploitation (60 femmes) et 86 jeunes en vue de collecter les données sur l’analyse relative au genre et à l’implication des jeunes en agriculture. Pour finir et trouver des données comparables de revenu, une autre visite a été conduite en zone urbaine en vue de dégager les données complémentaires de revenus d’activités alternatives à l’agriculture en milieu urbain. En l’occurrence, la ville la mieux indiquée était Bukavu, où 60 personnes réparties en quatre activités non-agricoles ont été enquêtées.
Les résultats ont mis en évidence que la vente des cultures et des produits d’élevage sont les principaux éléments constitutifs du revenu des ménages ruraux du territoire de Kalehe en RDC et du district de Rusizi au Rwanda. Il s’en suit des transferts d’argent dont bénéficient certains ménages du territoire de Kalehe. Mis à part le revenu agricole du chef d’exploitation et de son épouse, le revenu issu d’activités des autres membres a également été pris en compte. Ce dernier a été un élément constitutif mais secondaire dans l’analyse du revenu des ménages.
Les résultats ont également montré que l’accès à la terre est problématique pour les exploitants agricoles des milieux ruraux de la RDC et du Rwanda, y compris pour les femmes et pour les jeunes. De plus, les exploitations sont relativement petites et, en termes de capital humain, le niveau d’éducation est faible et la taille du ménage est élevée. Il en résulte que, le ratio superficie par exploitation est également faible avec une taille moyenne de 3ha dans le territoire de Kalehe et de 1ha dans le district de Rusizi. De ce fait, plus les productions sont faibles, plus le revenu du ménage est bas. Par conséquent, il est difficile pour un agriculteur de sortir de la pauvreté.
Par comparaison aux activités alternatives non-agricoles, on remarque que le revenu pour cette catégorie de personnes est également faible avec des dépenses élevées. Ainsi, le salaire ne suffit pas pour couvrir les besoins des ménages. Cela permet de comprendre que le secteur agricole peut apporter plus de résilience économique aux ménages que dans les autres secteurs d’activité considérés, vu l’avantage comparé lié à l’alimentation du ménage et que l’exode rural dans le but de lutter contre les mauvaises conditions de vie en milieu rural n’est pas une solution adéquate. Cependant, un exode rural saisonnier, hors périodes culturales, pourrait apporter aux ménages ruraux un complément de revenu.
Les résultats de cette étude mettent en évidence la non-participation de la femme à la prise de décision au niveau du ménage. Aussi, le calcul de l’Indice d’Autonomisation de la Femme en Agriculture (IAFA) ou le Woman Empowerment Agricultural Index (WEAI) montre que les hommes sont plus autonomisés que les femmes. De ce fait, elles n’ont ni accès ni contrôle à certains actifs, parmi lesquels on trouve la terre et le crédit. La participation de la femme à certaines décisions dans les ménages ruraux constitue également un grand défi à relever. L’analyse de l’IAFA montre que seulement 8% des femmes sont associées au processus de prise de décision au sein de leur ménage.
On constate que les hommes participent mieux que les femmes au processus de prise de décision selon les déterminants de l’autonomisation agricole considérés. Le manque d’accès au crédit et autre soutien financier freine également le développement de la femme en milieu rural. On remarque l’inexistence de services d’appui financier pouvant aider les femmes à développer leur activité alors que ces dernières constituent une main-d’oeuvre par excellence et que leur participation aux activités agricoles permet d’améliorer le bien-être du ménage. Par ailleurs, leur
faciliter l’accès aux moyens financiers (accès au crédit, possibilité et facilité d’épargne, aides et soutiens de l’Etat) devrait permettre aux ménages non seulement de mieux s’impliquer dans les activités agricoles mais aussi contribuer à leur épanouissement dans le secteur et rendre l’agriculture plus commerciale que de subsistance.
Ainsi, la spécificité de l’approche genre dans les activités agricoles liées à la production et à tous les processus de transformation et de commercialisation de certaines denrées alimentaires s’avère nécessaire pour identifier les domaines qui nécessitent une intervention et un soutien permettant aux femmes d’être autonomes de la même façon que les hommes, cela dans l’objectif de promouvoir les moyens de subsistance et d’assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle des ménages.
Les jeunes, quant à eux, manifestent l’intention de reprendre les activités agricoles à condition qu’ils aient un appui en termes de formation, de financement et d’accès aux moyens de production. Ces actions devraient contribuer à rendre l’agriculture plus attrayante pour les jeunes et d’y voir un moyen intéressant pour mieux assurer leur avenir.
Quant à la situation alimentaire des ménages, tenant compte de différents indicateurs d’analyse de sécurité alimentaire, les résultats ont montré que, les ménages enquêtés dans les milieux ruraux de la RDC et du Rwanda sont en insécurité alimentaire, telle que l’indique le déterminant à l’échelle d’accès à l’insécurité alimentaire, le score de diversité alimentaire et les stratégies basées sur les moyens de subsistance des ménages. Ces derniers restent les indicateurs par excellence d’évaluation de la sécurité alimentaire et nutritionnelle car ils tiennent pleinement compte non seulement de la situation de consommation et du régime alimentaire du ménage, mais aussi du comportement adopté par les ménages lorsqu’ils font face à une situation critique dans leur alimentation.
A partir de tous les résultats combinés, nous pouvons conclure que, pour arriver à maintenir un équilibre dans le ménage des exploitants agricoles, les aspects liés au développement agricole, au genre et à la sécurité alimentaire et nutritionnelle sont complémentaires et interdépendants. La prise en compte de cette interdépendance est nécessaire pour permettre une amélioration du niveau de vie et de ce fait, une participation plus équitable à la prise de décision concernant les différents actifs (ressources) détenus dans le ménage. Cela conduit à une augmentation de la productivité et, par conséquent, à une augmentation du revenu des ménages, des moyens de subsistance, de la sécurité alimentaire et nutritionnelle ainsi que du bien-être de toute la communauté rurale.
Abstract
In the Great Lakes region of Africa, and more specifically in the rural areas of the Democratic Republic of Congo and Rwanda, the agricultural sector plays a predominant role in the local economy and constitutes the main livelihood of households, valued in terms of financial, human, physical, natural and social capital. Unfortunately, in most rural areas of DRC and Rwanda, mobilizing these different forms of capital for household welfare remains a significant challenge. This affects the productivity of farmers, their income level and living conditions, with the result that households find themselves in a vicious circle of poverty.
Given this situation, this study identifies the different forms of capital mobilized by farmers in rural areas of the DRC and Rwanda, in order to determine their living conditions. Specifically, this study aims to: first (i) identify the different components of income, including determining the level of agricultural income realized by rural households in the DRC in Kalehe Territory and Rwanda in Rusizi District, and compares this to income from alternative non-agricultural activities ; (ii) determine the factors that hinder agricultural development in the target rural areas and identify the strategies to improve living conditions in rural areas ; (iii) determine the level of involvement and empowerment of women and youth in agricultural activities in the rural areas ; and (iv) assess the state of food and nutrition security of rural households in the Kalehe Territory in DRC and the Rusizi District in Rwanda.
In order to do this, two field visits were undertaken to designated areas in the Kalehe Territory in DRC and the Rusizi District in Rwanda. The first visit consisted of meeting with farm owners (65 men) who are usually heads of the households in each of the two study areas ; and the second visit consisted of meeting with the wives of these farm owners (60 women) and 86 young people in order to collect data on gender analysis and the involvement of young people in agriculture. Finally, for purposes of obtaining comparable income data, another visit was made to urban areas to obtain income data on non-agriculture activities in urban areas. In this case, the most appropriate city was Bukavu in DRC, where 60 people involved in four non-agricultural activities were surveyed.
The results show that the sale of crops and livestock products are the main components of income for rural households in Kalehe Territory in DRC and Rusizi District in Rwanda. The income sources analysed includes agricultural income of the farm owners, his wife and other members of the household, the latter constitutes a secondary element in the analysis of household income. Some households also receive remittances.
The results also show that access to land is problematic for rural farmers in DRC and Rwanda, including women and youth. The farms tend to be relatively small, with an average farm size per household of 3 ha in Kalehe Territory and 1 ha in Rusizi District. In terms of human capital, education levels are low and average household sizes are high. A result of the small farm sizes is relatively low levels of production and consequently low household incomes. This is one of the factors which makes it difficult for a farmer to escape poverty.
Compared to alternative non-agricultural activities, we note that the income for this category of people is also low and household expenses are high. Thus, the salary is usually not sufficient to cover the needs of the household. This situation helps to explain why the agricultural sector can better enhance economic resilience in relatively poor households than other economic sectors. Crucially, agriculture has the advantage of assuring household food security. Despite this, there is usually an exodus from rural areas due to poor living conditions. This is usually a seasonal phenomenon, occurring outside of the cropping seasons and provide rural households with additional income.
The results of this study highlight the non-participation of women in decision-making at the household level. The Women’s Empowerment Agricultural Index (WEAI) analysis shows that only 8% of women are involved in the decision-making process in their households. Furthermore, the calculation of the WEAI Index shows that men are more empowered than women. As a result, women do not have access to or control over assets such as land and credit. However, men are more involved than women in the decision-making process depending on the determinants of agricultural empowerment considered.
The lack of access to credit and other financial support hinders the development of rural women. There is a lack of financial support services to help women undertake both agricultural and non-agricultural activities even though they are the primary labor force and their participation in agricultural activities improves the well-being of the household. It is expected that improved access by women to financial resources (e.g. access to credit, savings facilities as well as public support) will enable households involved in agriculture to advance from subsistence to more commercial-oriented production.
The above is what makes a gender-specific approach to agricultural development and transformation critical if the objective of promoting improved livelihoods and ensuring household food and nutrition security is to be achieved.
The results also show that young people, on the other hand, are willing to resume agricultural activities provided they have support in terms of training, financing and access to means of production (land, capital, etc). These actions should contribute to making agriculture more attractive to young people and to encourage them to see it as a means to a better future.
The results from applying different food security analysis indicators show that the households surveyed in rural areas of DR Congo and Rwanda are food insecure. This is evident from the food insecurity access scale determinant, the dietary diversity score and from their household livelihood strategies. These indicators were used for assessing food and nutrition security because they take full account not only of the consumption status and diet of the household, but also of the behavior adopted by households when faced with a critical situation in their diet.
From the combined results we conclude that, in order to achieve a balance in the farmer's household, agricultural development, gender and food and nutrition security are complementary and interdependent. Taking this interdependence into account is necessary to allow for an improvement in the standard of living of the rural population. More equitable participation in decision-making regarding different household assets (resources) can lead to increase in farm productivity and, consequently, to increase in household income, livelihoods as well as improvement in food and nutrition security and well-being of the entire rural community.